quinta-feira, 19 de abril de 2018

LE POSITIVISME ET L’ECONOMIE POLITIQUE.

LE POSITIVISME ET L’ECONOMIE POLITIQUE

EXTRAIT DU CURS  DE M. PIERRE LAFFITTE, SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE

DE L’HUMANITÉ

DEUXIÉME ÉDITION

« La richesse est sociale dans sa source et doit l’`etre dans sa destination, tout en conservant une appropiation personnelle. »
Auguste Comte                                                                 
  
1867

Introdution

Ce travail a d'abord paru sous le titre de Lettre à M. Emile de Girardin sur l’économie politique positiviste.

L'édition s'en trouvant épuisée, nous avons jugé convenable de le remettre à l'impression sous une désignation plus générale et moins dépendante.

Nous croyons nécessaire, aussi, fie rappeler les circonstances qui ont amené la premiére publication.

Dans un livre sur la personne et sur la doctrine d'AugusteComte (1- Auguste Comte et la Philosophie  Positive. Paris, Hachette, 1863), M. Littré, qui a autrefois compté dans les rangs positivistes, mais qui en est sorti depuis longtemps, avait avancé, entre autres inexactitudes, que le Positivisme est nul en économie politique, et que, sur ce point, tout y reste à faire.

Plusieurs écrivains, encore étrangers à la Politique Positive, acceptèrent cette affirmation, qui ne tarda point à s'établir dans un certain nombre d'esprits.

C'est alors que les disciples d'Auguste Comte crurent devoir protester contre un pareil abus et pensèrent que le mieux, pour rétablir la vérité, était de mettre sous les yeux du public le résumé des principes fondamentaux de l'économie sociale, telle que la conçoit le Positivisme et telle que le M. Pierre Laffitte, diecteur actuel de l'École ( École Positiviste), l'enseigne depuis neuf années dans son cours philosophique sur l'histoire générale de l'Humanité (2);

 (2) lls avaient aussi espéré que M. Girardin pourrait donner asile à
cette revendication, dans le journal qu'il dirige, mais il leur a été répondu
par un refus formel.
  
Il ne faudrait pas croire, cependant, qu'une exposition aussi condensée donnât une idée suffisante de la solution que le Positivisme met en avant pour le problème économique. Elle n'a en vue que de faire ressortir la manière élevée et complète avec laquelle le génie consciencieux et profond d'Auguste Comte a traité tout ce qui se rapporte aux conditions matérielles de l'existence sociale.

Il serait inouï, en effet, qu'un système philosophique et politique qui repose tout entier sur la substitution de la science à la théologie et de la paix à la guerre, ait précisément omis de s'occuper du régime industriel ?

Aussi n'en est-il rien.

Comte a nié que l'ou ait eu raison de séparer de la science sociale la considération des cunditions matérielles de la vie collective, pour en faire une science distincte et spéciale, sous le nom d'économie politique ; il a nié que les économistes aient convenablement traité ce problème, soit nu point de vue logique, soit au point de vue scientifique; il a nié qu'ils aient constitué une science abstraite, réelle, comme l'astronomie, la physique, la chimie, etc. ; mais il n’en a pas moins effectué lui-même, au point devue positif, et comme base et partie essentielle de la science sociale, l'étude rigoureuse et complète des phénomènes économiques.

En lisant ce résumé, les esprits judicieux reconnaîtront sans doute qu'il y a une certaine audace de la part de M. Littré, à affirmer que le Positivisme est nul en économie politique et qu'il présente sous ce rapport une lacune fondamentale.
  
Formation du Capital et Théorie de la Propiété. (1)

 Messieurs, après avoir, dans la séance précédente et comme conséquence de la théorie positive de la nature humaine, posé le type idéal de sociabilité vers lequel notre espèce doit  s'efforcer de s'élever de plus en plus, état que nous avous  caractérisé par la formule générale vivre pour autrui, nous allons rechercher jusqu'à quel point le monde extérieur et nos propres ressources permettent la réalisation de ce degré suprême de civilisation.

Il ne suffit pas, en effet, que l'homme soit, par sa nature intellectuelle et morale, susceptible de sociabilité, il faut encore que le milieu dans lequel il est destiné à vivre se trouve favorable au développement de ses facultés cérébrales, et que son corps soit en harmonie suffisante avec ce milieu.

L'étude des animaux confirme cette nécessité, en nous montrant des êtres

(1) Extrait du Cours philosophique sur l'histoire génêrale de l'Humanité, par M. Pierre Laffitte, deuxième séance, neuvième année, Ce cours, public et grâtuit, a lieu le dimanche, à 1 heure, rue Monsieur- le-Prince, n° 10. Il a été fait par Auguste Comte de 1849 à 1852, au Palais-Royal, et repris sans interruption par M.Laffitte depuis 1858.

 Assez favorisés sous le rapport de l’intelligence et du sentiment, qui forcés par leur constitution corporelle d'habiter un muilieu défavorable, ou qui, présentant dans certains de leurs organes une imperfection telle qu'elle neutralise leur supériorité mentale et morale (comme il arriverait pour l'homme, par exemple, s’il manquait de main), n'occupent, par cela mème, en réalité, qu'un rang bien inférieur à celui que leur assignerait, dans la série animale abstràite, la perfection de leur cerveau. La chauve-souris, le phoque et même la taupe, condamnés par certaines particularités de leur structure à vivre respectivement dans l'air, dans l'eau et sous la terre, nous fournissent un exemple de celle fatalité.

Voyons donc si, chez l'homme, le monde extérieur et as propre organisation ne s'opposent point au développement de ces facultés supérieures, et à établissement de cette vie collective qui peut seule lui perinettre d'atteindre le degré de civilisation que nous avons posé précédemment commne le but de son évolution?

Il faut le reconnaître de suite, Messieurs, le milieu cosmologique oppose de grandes difficultés à cette solution élevée du problème humain, et l'accumulation successive des matériaux indispensables à notre existence, ou la formation du capital, la rend seule passifble finalement.

            Examinons donc, premièrement, l'état réel de nos besoins et comment le monde est à portée d'y satisfaire ; puis comment le capital s'est formé et comment il a pu devenir suffisant pour la satisfaction de nos nécessités corporelles. C'est là, pour le Positivisime, comme pour les premeiers économistes (pour Hume e Turgot en particulier), la seule économie politique réel, celle qui, en tant que partie intégrante et nécessaire de la science sociale, étudie les conditions matérielles de l'existence collective.

Avant tout, il faut constater que notre corps ainsi que le cerveau qui le complèté, étant soumis à la nécessité d'une renovation matérielle continue, se trouve par cela même étroitement subordonné au monde, source unique de laquelle ïl puisse tire les matériaux de cette rénovation. C'est ainsi que la vie colective dépend intimement du milieu terrestre  où elle doit se développer, et c'est pourquoi toute véritable économie politique, toute étude sociale digne de ce nom, doivent prendre pur base de leurs spéculations la connaissance exacte des rapports ïnévitables de l’homme avec le milieu.

Or cette recherche nous apprend que la rénovation corporelle doit non seulement être à la fois gazeuse, liquide et solide, mais que cette dernière ne peut encore se faire qu'aux dépens de matières ayant déjà vécu. Èn effet, les végétaux et les animaux sont indispensables à notre nutrition, que nous ne pouvons entretenir par les seuls minéraux ; ce qui augmente de la difficulté de la conservation de  l'homme et complique singulièrement le problème social. Enfin la rénovation corporlle exige des conditions de chaleur, d'hinidité, de lumière, etc, fort délicates à entretenir, et qui accroissent aussi les difficultés de cette conservàtion.

C'est là un ordre de faits contingent, qui exiéte indépendamment de nous, que nous ne pouvons expliquer qui doit nu contraire, servir de base à toutes nos explications réélles, et qui domine tellemment l'homme au début le l'évolution social qu'il lui impose une vie purement égoïste asservie aux moidres nécessités individuelles.

Il en serait autrement, sans aucum doute, si, par supposition, la rénovation gazeuse pouvait suffire à notre entretien corporel et se les condition phisiques  du mileu (chaleur, électricité, hygrométricité, lumiére, etc.,) étaient assez favorables pournous dispenser de lutter contre lui. Aloirs notre personnalité n'étant plus sollicitée par une nutrition qui se ferait sans efforts, en respirant, par exemple, s'engourdirait par désuétude, et nos intincts sympathiques, mis en,jeu et maintus  en activité par le charme de leur exercice, n’eprouvant plus 'la concurrence opprecive de nos penchants égoïstes, deviendraient les moteurs habituels de une vie tout affectuese où líntelligence et l’activitè se voueraient naturellement  au service de l’attachement, de la veneration et de la bonte. On sent quelle place occuperait, dans une semblabe existence, entièrement affranchie des besoins matériels et des  suggestions personnelles, l’art,  qui deviendrait à la fois líntreprète du sentiment et l’objet habituel des recherches de l'esprit ou des entreprises de l'activité.

Mais d'aussi heureuses conditions nous ont été refusées, Messieurs, et force est de reconnaître, comme je l'ai déjà fait, qu'au début de évolution, l'activité de l'homme ne peut être qu'égoiste, parce que la personnalité est naturellement prépondérante, dans sa nature morale, et parce que ses nécessités corporelles, ses besoins, combinés avec les difficultés du milieu où il se trouve placé, surexcitent principalement en lui les instincts de conservation individuelle et de destinotion extérieure.

Le corps et le milieu sont donc primitivement cotitraires à la solution altruiste du problème humain.

Voyons comment une telle fatalité a pu être surmontée;comment s'est opérée la transformation de l'activité humaine ; comment, d’égoïste et personnelle qu'elle était d'abord, elle a pu devenir altruiste et sociale?

Tante que l'homme travaille isolément pour satisfaire lui-mêmé chacun de ses besoins, son activité reste égoïste cela est incontestable. Dans un tel état, il se trouve même inférieur en sociabilité à beaucoup d'animaux, aux castors, par exemple, qui, vu leur nature d'herbivores (qui suscite entre eux moins de conflits), arrivent plus facilement à la vie sociale. Mais àussitôt, que por fournir plus aisément à sa subsistance, l'homme passe du travail individuel au travail collectfi, soit pour la pêche ou la chasse, soit pour l'élève et la garde des troupeaux, ou pour la culture de là terre, le développement de l'altruisme commence et son activité prend le caractère social.

Eu effet, l'activité collective consiste, suivant le principe d'Aristote, dans la cooperation, par des fonction distinctes, à une oeuvre commune, qui suscite immédiatement entre les coopérateurs des sentiment d'attachement, de respect, de protection, c'est-à-dire les éléments de la sociabilité. La coopération, du reste, comprent deux états bien distincts : la solidarité, ou les efflorts des contemporains, et la continuité, ou la participation des prédécesseurs. Enfin, la succession des efforts, ou la continuité, en reliant les générations entre elles et permettant l'accumulation des résultats obtenus par chacune, devient bientôt l'élément prépondérant de la cooperation.

Lursqu'une société est parvenue à ce degré de concours entre tous ses membres, que le passé et le présent coopèrent à l'oeuvre commune en vue de l'avenir, tous les individus qui en font partie travaillent et vivent pour autrui et par autrui, matérillement, mentalement ou moralement, qu'ils le sachent ou l'ignorent, qu'ils le veuillent ou non. L'activité y est donc devenue pleinement altruiste.

Nous allons montrer que c'est la formation du Capital, si bien désigné par le langage spontané comme la chose sociale par excellence, qui permet l'établissement de cette activité collective, et par suite la solution altruiste du problème humain,

En effet, le produit le plus simple de notre industrie suppose la division du travail, qui serait elle-même impossible sans l'existence du capital*, ou de l'ensemble des groupes durables de produit matériels propres à la satisfaction de nos besoins (*capital material = nourriture, vêtement, habitation, etc.).(**capital  Intelectual e ***capital morale )

Car, pour qu'an individu puisse vivre en n'accomplissant qu'une seule et même portion du travail général qu'exige l'entretien de la société, par exemple eu fabriquant des souliers, il faut, de toute nécessité, qu'il y ait à sa disposition une accumulation antérieure de matériaux et d'instruments, c'est-à-dire un capital, qui lui permette d'exécuter son travail spécial et de se nourrir, de se loger, de se vêtir, etc., pendant qu'il l'accomplit.

Ce qui est vrai pour le travail matériel l'est, à bien plus forte raison, pour les productions de l'esprit; et tout comme l'ouvrier, le philosophe, le savant, le poëte, l'artiste, se nourrissent avec les produits du travail d'autrui, donnant en échange les
créations de la science et de l'art.

Or, pour que des êtres ne produisant pas matériellement, c'est-à-dire ne transformant aucune partie delà matèriel e pour la rendre apte à la rénovation corporelle (commne sont  les enfants et les vieillards dans  toute société un peu étendue), ou pour que des individus qui ne façonnent point directement chacune des choses qu'ils consomment (comme il arrive dans une société semblable pour les producteurs quelconques) soient cependant nourris, il faut évidemment qu'il y ait un excédant de production à leur disposition actuelle. La division du travail suppose donc une accumulation de matériaux, ou l'existence du capital.

Ainsi donc, les économistes ont mal conçu le problème social, d'abord en le restreignant au monde industriel, et ensuite en réduisant le phénomène de là roduction à la seule considération du marché polir ainsi dire, sans voir que tout travail collectif suppose la formation antérieure du capital, et que les provisions et instruments créés par les prédécesseurs permettent seuls l'existence collective présente.

Mais comment s'est formé ce capital lui meme ?

Les économistes ne l'ont pas davantage compris, et la théorie positive et ce phénomène si important est encore due à Auguste Comte.

Voici comment il explique la création de la richesse. Elle est subordonnée, selon lui, à deux grands faits généraux, à deux lois naturelles quï dominent la question économique et qui avaient ,jusqu'alors échappé à tous les penseurs, faute d'une suffisante généralité de vues.

La première de ces lois concerne l'Humanité, ou l'agent du phénomène, et consiste en ce que chaque homme peut produíre au delà de ce qu'il consomme. Là seconde est relative au monde, à l'objet économique, et consiste en ce que les matériaux obtenus peuvent se conserver au delà du temps qu'exige leur reproduction. D'où il résulte qu'une génération petit fournir un excédant de production sur sa consommation nécessaire, et que cet excédant pouvànt être conservé et transmis à la génération suivante, les matériaux  (provisions et instruments) sont susceptibles de s'accumuler, et que le capital parvient enfin à se former.

C'est ainsi que la combinaison des deux grandes lois économiques que nous venons d'énoncer, d'après Auguste Comte, et dont la découverte suffirait seule pour le placer au premier rang parmi les économistes, permet d'expliquer, par le travail successif des générations, la formation de la richesse, qu'il convient dés lors de caractériser dignement par le titre de capital humain.

La première de ces lois est facile à vérifier et peut l'être à toutes les époques de l'évolution sociàl. Même à l’état nomade, ceux qui gardent les troupeaux ne peuvent consommer toute la chair des animaux qu'ils élèvent, et la laine de certains d’entre eux servant encore à confectionner des vétements ou des tentes, il arrive que ces nomades parviennent à fournir à un grand nombre d'individus la satisfaction de trois nécessités premières : celles de la nutrition, du vétcnieut et de l’habitation. Il en est de même, et plus encore, pour l'agriculture, où le traivail  d'un seul peut arriver à fournir la nourriture de plusieurs  (1).

(1) C’est ce qui a fait remarquer à David Hume qu'un petit nombre d'agrieulteurs pouvait fournir la matiére première à un grand nombre demanufacturiers; et c'est cette vue spéciale, dont le Positivisme seul a sutirer un parti convenable, par la distinction systématique de la production agricole et de la transformation manufacturiére, qui a servi de base prin-cipale aux économistes modernes pour constituer leur prétendue science.

Il est aisé de voir, d’ aprés l'analyse que nous effectuons en ce moment, combien leur point de vue est incomplet et que leur étude n’embrasse réellement qu'une partie  restrient de la science sociale.

Quant à la seconde loi économique d'Auguste Comte, des observations innombrables et prolongées eu établissent la certitude ( entre l’usage des silos) ; mais il faut encore, pour en bien comprendre l'importance et la réalité, supposer un instiint aux matériaux qui nous servent, à ceux surtout qui sont employés par nous pour la nutrition, l'habitation et le vêtement, une activitè beaucoup plus grande que celle qu'ils ont en réalité, et qui les empêcherait, par exemple, à l'inverse de ce qui a lieu, de pouvoir durer plus de temps qu'il n’en faut pour les reproduire;ou les façonner à notre usage. Il est aisé de comprendre combien les conditions de nôtre existence se trouveraient alors changées, et combien les difficultés de notre conservation seraient accrues.

Ajoutons que lèvolution humaine, par l'effet des progrès de l'industrie,  augmente considérablement l'influence des deux lois précédentes, loin de la diminuer.

La nature de l'homne et l'état du monde extérieur permettent donc à une génération de produire plus qu'elle ne doit consommer et de conserver son excédant de production.

Mais pour que cette conservation ait lieu d'une manière durable et efficace, il ne suffit pas que milieu physique n'y apporte aucun empêdiement absolu, il faut encore que la société s'y prête, et qu’elle institue des procédés spéciaux pour la conservation du capital ainsi formé; ces procédés consistent dans l’appriation et dans la transmission de la richesse.

Ici les économistes se trouvent aussi en défaut; car ils ont presque eutièrement négligé ce qui est relatif à la corservation du Capital, pour ne spéculer que sur sa production. Cependant l'économie des provisions comme celle des instrunienls est de la plus haute importance sociale et constitue une nécessité du premier ordre dont il faut  tenir un compte sévère en politiqite; car, outre les inconvénients physiques et moraux d'une consommation déréglée, qui pousse à tous les égoïsmes et à toutes les dégradations, il y a dans ce défaut d'économie un danger considérable, celui d'épuiser l'excédant de production et de détruire le capital humain.

De nos jours, les classes agricoles ont seules conservé les habitudes des d'économie, et la population des villes, entraînée par les préjugés industrialistes et par le déréglement révolutionnaire, s'abandonne de plus en plus au gaspillage des provisions même des instruments, que nous devons surtout à nos prédécesseurs : désordre qu'encouragent beaucoup d'économistes, sous prétexte d'activer la production.

Il n'en est pas moins vrai que la conservation dit capital constitue un fait moralement plus élevé et matériellement aussi utile que sa produétton, puisqu'elle représente un élément essentiel de la continuité sociale et permet seule la formation de la richesse. Au fond, la Ménagére est aussi digne et aussi indispensable que le Producteur dans ce grand phénomène, et pour comprendre toute son importance sociale, nous devons nous rappeler sans cesse, Messieurs, combien puissamment, au moyen àge, elle aida le prolétaire à sortir du servage par l'acquisition, au moyen de l'épargne, d'un certain degré de propriété.

Pour apprécier suffisamment l'illusion de tant d'économistes à cet égard, il faut se rappeler que consommér pour produire, comme ils le recommandent en prenant à tort la production pour le but social, reviendrait à créer des travaux artificiels, comme s'il en devait  jamais manquer  indispensable et naturels.

Quant à la seconde condition de la conservation de la richesse, celle de sa transmission, elle a surtout pour effet d'augmenter son efficacité en la concentrant.

Cette transmission s'est opérée jusqu'ici d'après quatre modes principaux :

1 º  par l'échange - c'est le procédé le plusèlèmenthire et je seul dont les économistes se soient occupés.

2 º  par l'héritaqe - un homme ayant acquis une fortune quelconque,
soit par le travail, soit même par l'hérédité, la transmet à ses hoirs, d'après certaines prescriptions légales.

3° par le don ; c'est le mode théocratique ; le plus digne, le plus efficace des procédés de transmission, auquel on reviendra sans doute souvent dans l'avenir.

4° par la conquête; c'est ainsi que se sont f'ormées les grandes fortunes militaires. Ce procédé consistc à prendre des capitaux par la force des armes et à les concentrer en une seule main. Il a joué un grand rôle dàns le passé, mais il tend de plus en plus à disparaître et ne peut' être considér qu'au point de vue historique. Il n'y a donc que l'échange, l'héritâge et le don qui doivent être corservés dans l'avenir et qui soient susceptibles d'être systématisés par le Positivisme, comme nous l'exposerons ultérieurement.

Ayant expliqué, Messieurs, coininent s'opèrent la formation et l'accroissement du capital, il nous reste à en indique le rôle normale, ou la fonction dans l'organisme social, et à montrer comme l'activité collective, par un noble emploi delà richesse qu’elle crée, doit arriver à permettre la solution altruiste du problème humain.

Pour le bien concevoir, nous envisagerons l'activité collective dans son plus haut degré d'extension, sous le double rapport de la continuité et de la solidarité, c'est- à-dire comme si les capitaux provenus du passé servaient à toutes les populations de la planète, communiquant pacifiquement entre elles par l'échange.

Une telle hypothèse n'est , du resté, pas trop loin de la vérité, puisqu'elle se trouve réalisée par, un certain nombre de populations importantes. L'existence anglaise, par exemple, repose en partie sur l'industrie chinoise, par la consommation du thé, et sur les débouchés lointains que son commerce, étendu à toutes les parties du monde, procure à sa fabrication. Nous pourrions citer beaucoup d'autres exemples.

            Il est vrai que, jusqu'à ce,jour, les populations moins avancées servent plus à celles de l'Europe que celles-ci ne leur sont utiles, et que le plus souvent nous ne portons aux peuples du dehors que des choses nuisibles ; mais le temps n'est pas éloigné, ou peut l'espérer, où un esprit meilleur et une plus haute mûralité leur rendront ces échanges profitables, Pour le moment, ce que nous devons constater, c'est que des échanges de produits spéciaux, résultés de la division du travail à la surface delà Terre, ont dèjà lieu sur une grande échelle et que, pour qu'ils aient lien, il faut que le capital ait été formé de part et d'autre et qu'il y ait eu civilisation.

Un exemple enprunté au domaine intellectuel fera bien sentir celle solidarité. L'algèbre, dont la connaissance est indispensable en géométrie et en mécanique, et qui a sa part, par conséquent, dans toutes les applications de ces sciences (au point que la moindre des machines qui secondent si puissamment notre industrie suppose son existence), l'algèbre, dis-je, à été instituée parles Hindous et transmise par les Arabes à l'occident de l'Euroipe. Les prodùits actuels de notre fabrication dépendent donc, en définitive, de l'existence antérieure des civilisations arabe et hindoue, et l'on peut  voir, par cet exemple et par beaucoup d'autres du même genre que la solidàrité de toutes les grandes familles humaines est beaucoup plus avancée  qu'on  ne le pense généralement.

En là supposant obtenue sur toute la Planète, nous allons indiquer quel doit être le rôle universel du cipital et l'emploi normal de la richesse.

En fait, au point mème ou en est l'évolution sociale, tout individu qui travaille,  de quelque maniére que ce soit, et quil le sache et le veuille ou non, vit par et pour autrui ; car il s'approprie en partie les capitaux matèrlels, intellectuels et moraux
accumulès par les prrédécesseurs, et uni partie de ce qu'il produit rest pour les contemporains et pour les successeurs. Ainsi font  ceux qui copérent à la construction des routes, des chemins de fer de navres, dés machines, des hibitations, etc. ~ etc,et ceux qui produisent des poémes, des oeuvres d'art, des découvertes scientifiques, etc. C’est t la constatation de ce fait spontané, suffisamment  reconnu et systématisé, qui permet la solution altruiste du probléme humain; car admettre que lon vit par les prédécesseurs pour les contemporains et pour les successeurs, conduit à la conception du rôle normal du capital et de la réglementation sociale de la richesse, sur les quels repose, en définitive, cette solution.

Pour y arriver complétement, il faut considérer l'Humanité comme un être comme un être collectifsoumis à des lois propres d'évolution et accomplissant le travail social d'après ces lois, sous la pression des conditions extérieures auxquelles elle est fatalement soumise. On s'élève à cette grande notion par l'analyse historique principalement, en étudiant le développement de la civilisation dans la série des âges passés ; mais on peut l'acquérir aussi par l'examen du présent. Ainsi, l'établissement des chemins de fer suppose toute l'évolution humaine, théorique et pratique, et l'état de paix générale qui en résulte de plus en plus : car dans une situation sociale où toutes les villes seraient en guerre continuelle les unes avec les autres, comme dans l'ancienne Grèce, on ne pourrait établir de pareilles voies de communication. Outre l'état de paix qui leur est indispensable, les chimins de fer supposent l'institution de la géométrie, de la mécanique, de la physique et de la chimie, qui n'a pu être faite par  un suel homme, ni même par une génération, mais par les générations successives, ou par l'Humanité, dont la notion surgit ainsi de l'analyse de tous les grands phénomènes sociaux  actuels. Son existence comme être collectif dominant l'individu est donc in contestable; mais elle est, en autre, le plus grand de tous les être connus, le seul véritable Étre Suprême par conséquent. S'il en était un autre, et que nous dépendissions de lui, il n'aurait fait, dans tous le cas, relativement à nous, que les matériaux si difficiles à utiliser dont nous nous servons, et les conditions fort défectueuses que nous subissons.

 C'est l'Humanité seule qui nous a rendu ces matériaux assimilables et ces conditions supportables, et c'est à elle seule que doit aller notre reconnaissance. Toutes les forces que nous mettons actuellement en oeuvre venant d'elle doivent donc être consacrées à son service : d'où dérive une série de devoirs qui permettent de régler la vie humaine, et la richesse, qui est une des principales forces sociales.

Le devoir est l'accomplissement d'une fonction par un organe libre. Appartenant à un être collectif duquel nous tenons tous les éléments de notre bonheur et de notre dignité, et qui, néanmoins, a besoin de notre coopération, nous sommes obligés, par cela même, de remplir une fonction utile à son existence. Nourris par le travail de nos prédécesseurs, nous devons travailler librement pour nos successeurs, et ce devoir vient régler à la fois toute notre existence, intelligence, sentiment et activité.

Voici comment le Positivisme conçoit, d'après ce principe, l'emploi définitif du capital humain.
  
Premièrement : La richesse, sociale dans sa source et dans sa destination, doit néanmoins recevoir une appropriation personnelle, pour être employée avec indépendance au service de l'Humanité.

Secondement : Le revenu du capital doit être affecté au développement des agents qui le produisent et à celui des instruments, la part prélevée par le possesseur, pour son entretien particulier, étant réglée avec la plus sage économie.

Troisièmement : La possession de la richesse étant une fonction sociale, doit être transmise d'aprés le principe de l'hérédité sociocratique, chaque possesseur du capital pouvant et devont instituer lui-même pour son successeur, celui qu'il aura reconnu comme étant le plus digne de remplir sa fonction,
  
Le prerriier de ces principes nc saurait être contesté : toutes les générations passées ayant contribué à la formation du capital qui sert à la génération présente, celle-ci ne saurait se dispenser de le conserver, ni même de l'accroître, pour les générations à venir.

            A mesure que la société se développe, la part que les prédécesseurs ont dans la formation du capital va constamment en augmentant, tandis que l'influence des contemporains se trouve relativement aller toujours en decroissant; et quelques efforts qu'ils fassent, leur intervention reste minime, comparée à celle des générations antérieures. Il ne resterait le plus souvent qu'un bien faible apport effectif à ces fils de leurs oeuvres qui s'enorgueillissent si étrangement d'une élévation due la plupart du temps à leur insatiable cupidité, si l'on défalquait de leur opération réelle tout ce qui ne leur appartient pas en propre, mais à leurs devanciers et à leurs contemporains, envers lesquels ils témoignent toujours d'un égal aveuglement et d'une égale ingratitude.

La richesse est donc sociale dons sa source et doit l'être dans sa destination.

Non seulement elle ne saurait être légitimement employée aux  jouissances de quelques individus ou de quelques familles, mais pas même à satisfaire l'égoïsme collectif de l'ensemble des contemporains, qui absorberait ainsi à son profit des matériaux qu'il n'a pas seul contribué à produire, et qui doivent être surtout conservés et augmentés pour les descendants.

Quant à la seconde partie de ce principe, à savoir que la richesse doit recevoir une appropriation persunnelle, elle est aussi incontestable que la première, quoique beaucoup plus contestée.

L'analyse approfondie de sociétés quelconques la met hors de doute, puisqu'on voit celle appropriation se réaliser partout, et que l'on peut toujours constater que le mouvement de la civilisation tend à la développer au lieu de la restreindre, comme il arriverait si  elle devait disparaître.

On voit même des propriétés à demi collectives au début, devenir plus tard complétement individuelles : l'Inde, la Germanie et la Russie en offrent des exemples caractéristiques.

L'appropriation personnelle du capital paraît donc spontanée et inévitable, mois elle est en outre indispensable, comme étant la condition de toute dignité, de toute moralité et de tout progrès ; car le progrès suppose l'indépendance de l'agent, puisque, pour le réaliser, dans qualque ordre de phénoménes  que ce soit, il  faut toujours que celui qui en prend  l'nitiative se mette  plus ou moins en opposition, en insurrection même, crontre l'ensemble des contenporains, et par suite qu'il puisse vire et agir en dehors d’eux et malgré eux.

Que fussent devenues les grandes créations esthétiques et scientifiques qui font la gloire et le bonheur de l'Humànité, si les homenes fie génie à qui nous les devons avaient dû attendre leur existence et la liberté de leurs efforts de l'assentiment de leurs contemporains? Si Copernic, par exemple, avait dût demander sa subsistance et l'autorisation de ses travaux au vote d'une assemblée quelconque : concile, sénat, corps législatif, voire au suffrage univerrsal, afin de substituer à une hypothèse si naturelle, si conforme aux apparences et si généralement admise, une conception vraie, mais qui semblait extravagante au premier abord, et dont la démonstration ne sera jamais accessible qu'à un petit nombre d'esprits, on peut affirmer que la Chambre à laquelle il eût fait cette demande l'eût traité comme un fou!  Cet exemple, et tant d'autres du même genre, sont particulièrement propres à faire sentir là nécessité  de l'appropriation personnelle du capital pour assurer, dans toutes les fonctions sociales, l'indispensable liberté de l'agent. Or la conservation de la richesse et son accroissement constituant une fonction sociale des plus importantes, exigent plus que toutes autres l'indépendance personnelle du fonctionnaire et la propriété de l'instrument.

C'est donc bien de la combinaison de ces deux propositions sociologiques:

l'origine et la destination sociales de la richesse et son appropriation personnelle, que résulte l'institution de l'emploi normal du capital humain ; car la première règle le concours des individus à l’oeuvre commune, tandis que la seconde garantit leur indépendance, c'est-à-dire, la liberté, la dignité, et au fond l'efficacité de leurs services.

Il faut remarquer en outre que ces deux principes corrigent le vice des théories économistes modernes (socialistes ou individualistes), qui toutes se montrent collectivement égoïstes, en régardant le capital  comme appartenant aux contemporains, sans tenir aucun compte des droits des prédécesseurs ni des
successeurs, ce qui est à la fois irrationnel, immoral et oppressif.

            Ils permettent aussi d'éviter le défaut de la solution communiste, qui est de  sacrifier.

 l'indépendance personnelle au concours social, et celui de Ia solution économiste propement dite, qui est, au contraire, de sacrifier le concours à l'arbitrait, individuel. Enfin ils caractérisent suffisamment. l'illusion et le danger de la  solution mixte récemment produite par une fraction de notre prolétariat, qui, d’après un mode particulier d’association , la coopèration, voudrait renverser les bases même du regime industriel , en supprimant la division fondamentale des producteurs en entrepreneurs en entrepreneurs et ouvries . Il est aisé de voir, d'après ce que nous venons d'exposer, qu'une telle subversion, en plongeant l'industrie dans une anarchie profondément retrograde, n'arriverait même pas à satisfire, fût-ce momentanément, les prétentions de ceux qui la considèrent comme le moyen d'améliorer la situation du prolétariat.

Le second principe sociologique que noirs avons énoncé pour règler l’émploi du capital, à savoir que le possesseur doit employer soir revinu, en ce qui le coucerne avec une sage économie, afin de pouvoir le consacrer surtout au  perfectionnement des agents et des instruments, est aussi démonstrable et  légitime que le premier.

Il revivient à dire que , sous certaines conditions déducation  et de conviction qui feront reconnaître et prévaloir lóbligation morale, le devoir, chacun (et le riche comme tout autre) devra fixer lui-même le chiffre de ses appointements  d’aprés  as position sociale  et ses besoins. Il  ne s’agit point ici, Messieurs,  de rétablir  la liberté de gaspiller les capitaux humains ;  nous verrous plus tard quelle flétrissure et  quelle repression le Positivisme sait infliger au parasitisme ! L’organe de la Humanité,  le fonctionnaire public, quelque partie du service social  quíl effectue , doit  vivre pour autrui, cela est certain, mais il doit pouvoir le faire avec indépendance  et dignité.

 Enfin d'après notre troisiéme principe, tout riche, dans le l’état normale, tout détenteur d’une portion du capital humaine, devant l'employer, d'une manière variable, mais déterminée (l'agriculture, la fabrication, la mineration, le commerce, le sevice ou le bamque), au service de l'Humanité, chaque propriétaire, chaque possesseur de capital devient un fonctionnaire public, et doit pouvoir, comme tous les autres fonctionnaires, sous certaines conditions, et pour éviter les choix irrationnels ou incompétents, instituer luimême son successeur. Il doit donc choisir, normalement, parmi ceux qui lui semblent les plus propres à employer la richesse à son office social.

L'hérédité naturelle, d'après laquelle la naissance règle la succession, sera sans doute toujours le mode de transmission le plus en usage comme aussi le plus efficace : car il est facile de concevoir qu'un fils, habitué dés sa naissance à vivre dans le milieu où s'exercent les hautes fonctions industrielles et pouvant contracter, dès ses premières années, les habitudes propres à ces fonctions, sera, par cela même, le plus souvent, capable de succéder avantageusement à soir père. Mais, néanmoins, le Positivisme, tout en tenant compte des ménagements qu'exige la situation présente, regarde comme une nécessité sociale, pour l'avenir, l'établissement de la liberté de tester, parce qu'en supposant tous les fils dún chef industriel également capables de lui succéder, comme la richesse perd d'autant plus d'efficacité reproductrice qu’elle se trouve divisée, le père doit choisir, pour éviter la dispersion de sa part du capital social, entre tous ses fils, celui qu'il considère comme le plus apte à le remplacer.

D'aillciirs, il peut ne pas avoir  d' héritier mâle, et les capitaux ne devant revenir qu'à ceux qui sont capables d'exercer fonctions industrielles, c'est-à-dire de faire valoir le capital, le fonctionnaire doit alors choisir son successeur en dehors de as famille. Il en serait de même, en cas d'héritiers naturels incapables ou indignes.

Telle est, Messieurs, la solution générale que le Positivisme vient apporter au probléme social.

Prenant la question èconomique à as source biologique par la constatation de nos besoins corporels et du travail  materiel qu'ils éxigent, il la poursuit par l'étude dés conditions respectivement propres à lágent humain et au monde extérieur, la prodution du capital destiné à assurer la satisfaction régulière de ces besoins, et par celle delà réaction que l'état de société vient exercer à son tour sur l'entretien et l'accroissement de la richesse sociale. Enfin, il la résout par la conception de l'emploi normal de la richesse, en transformant le problème économique en une question de devoir. Sa solution est donc surtout morale, bien que toujours appuyée sur les données les plus rigoureuses de la science et de la pratique (thecnologie). On ne peut apprécier aujourd’hui la puissance d'un semblable règlement de l'activité humaine ni se faire une idée de ce qu'il pourra sur des âmes vraiment civiques agissant par conviction et chez lesquelles la notion de devoir aura remplacé celle de droit. L'avenir seul pourra le démontrer, et nous ne doutons point qu'il ne le fasse avec éclat.

Voilà aussi comment l'Humanité, par la formation du capital et par l'institution de son gouvernemente moral,  sera parvenue à corriger les vices de as situation et à surmonter les obstacles du milieu où elle doit accomplir ses destinées.


                                               FIN 

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